Laëtitia Vitaud

Run the World (Girls)

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Beyoncé

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2011

Travailler gratuitement pour plus de productivité !! 

La proposition paraît incongrue, mais il est fort possible que, sans le savoir, ce soit déjà votre cas surtout si vous êtes une femme… Mais je vous rassure ça marche aussi pour les hommes, et même la planète… 

Avec Laetitia Vitaud, féministe mais humaniste avant tout, je reviens sur les multiples formes du travail et sur son évolution. L’échange fut bien sûr trop bref, mais je vous propose ce petit article pour vous mettre en appétit avant de vous jeter sur son dernier livre (« en finir avec la productivité ») pour essayer de redonner sa juste place au travail dans vos vies.

Qui est Laetitia Vitaud

Sortie d’une grande école de commerce et après une courte expérience en entreprise, j’ai donné huit années de mon temps à l’enseignement. J’ai commencé par enseigner au lycée puis en prépa et à Science Po où j’ai donné des cours de politique américaine.

J’ai adoré cette période de ma vie. J’aime enseigner, transmettre, faire grandir mes élèves. Pour autant, au bout d’un moment, j’ai trouvé que travailler dans l’éducation nationale en étant peu valorisée et peu soutenue ne me convenait plus. Et puis pour l’anecdote, je n’en pouvais plus de corriger des copies toutes mes soirées !

J’ai donc, au bout de huit ans, décidé de tenter une autre aventure. J’ai vite compris qu’en France, l’enseignement n’était pas valorisé sur le marché de l’emploi. Ici, il aurait fallu tout recommencer, repartir de zéro, accepter des postes « junior » car hors de l’entreprise, l’expérience est peu valorisée. J’ai, par conséquent, décidé de quitter la France et franchir la Manche et m’installer à Londres pour travailler dans le bureau européen d’une boîte américaine. J’y ai été embauchée pour recruter des ingénieurs.

J’y suis restée… un peu… Mais ce poste ne correspondait pas à mes contraintes de vie. J’y ai trouvé trop d’hommes, trop de contraintes, de voyages sans préparation, une culture du travail qui fait peu de place à la vie personnelle.

J’ai alors décidé de partir et j’ai commencé à écrire. J’écrivais tout le temps : sur le travail, sur les reconversions, sur le mal-être des salariés en entreprise, sur les freelances, … J’ai commencé par des enquêtes par pays sur le freelancing … Des clients ont commencé à s’adresser à moi pour réaliser leurs études et petit à petit tout a convergé vers le futur du travail.

A force d’écrire, j’ai acquis beaucoup d’expertise sur ce monde du futur du travail et aujourd’hui je ne fais plus vraiment de copywriting pour le compte de clients, je tiens à ma liberté de ton et j’écris MES propres opinions et mes propres convictions. Je suis aujourd’hui autrice et conférencière. J’interviens dans de nombreuses entreprises pour partager ma vision du travail de demain.

Laetitia Vitaud et la place de la femme

Je suis féministe. Dès l’enfance beaucoup de choses me révoltaient. A l’école, j’ai toujours trouvé injuste que « le masculin l’emporte sur le féminin » ou encore de devoir faire la queue aux toilettes alors que mon frère passait directement. Je voyais ma mère déjà petite qui en faisait beaucoup plus à la maison que mon père, qui s’occupait des enfants, des courses, … sans vraiment de gratification ni symbolique, ni matérielle.

J’ai réfléchi beaucoup à comment intégrer cette révolte dans ce que je peux écrire aujourd’hui. Dans le petit monde du « future of work », il y a plusieurs types de vision : le monde RH, les psychologues du travail, le monde académique, les technophiles passionnés d’IA et de blockchain …  Pour ma part, j’ai voulu prendre un angle du futur du travail beaucoup plus inclusif autour du care, de la démographie, et des femmes. 

Pourquoi parler de travail gratuit?

Dans mon dernier livre En finir avec la productivité, il était important pour moi de parler du travail de l’ombre que les femmes font, et qui permet à tous/toutes d’être productifs, de cet indicateur même, qu’est la productivité, qui ne prend pas en compte le travail gratuit qui permet justement de travailler dans la sphère marchande (s’occuper des enfants, le travail domestique, et même l’impact écologique).

Par définition, seul le travail rémunéré, déclaré, officiel est considéré comme « productif ». La quantité variable de travail non rémunéré qui l’entoure et le soutient est inconnue, non mesurée. C’est la partie invisible et ignorée de l’iceberg productif.

J’ai longtemps intuité le concept avant de découvrir la notion « d’externalités négatives » que l’on peut résumer ainsi :  « l’activité de production (…) d’un individu affecte le bien-être des autres sans que cette personne reçoive ou paye quoi que ce soit pour cet effet ». Par ces externalités négatives, on peut citer entre autres, les effets que peuvent avoir la production sur notre planète. Un pétrolier ou une usine d’engrais chimique auront probablement une influence sur l’environnement, influence qui ne sera pas prise en compte dans le calcul de la productivité. La réparation des dégâts éventuels sera bien souvent déléguée à un organisme bénévole, offrant une fois de plus un travail gratuit et non pris en compte dans le calcul de la productivité. Ce travail gratuit peut bien sûr être consenti consciemment (typiquement dans le cadre d’un travail associatif), souvent de manière inconsciente mais aussi sous la contrainte, de la société par exemple ou de notre histoire. Il est important d’en prendre conscience pour pouvoir s’en émanciper ou penser à une répartition plus juste. A ce titre le débat actuel autour de la reconnaissance du travail des aidants me parait particulièrement intéressant.

A titre personnel, j’ai besoin de sortir de chez moi régulièrement car à la maison j’en fais plus, tout simplement parce que c’est plus important pour moi que pour mon mari. Je suis conditionnée selon des stéréotypes genrés : c’est plus fort que moi, je ressens le besoin d’avoir un espace rangé ou encore un frigo plein. Heureusement, il y a plein de femmes qui ne subissent pas ce conditionnement, mais moi oui…

Partir une semaine par mois me permet d’avoir mon équilibre, d’avoir mon espace à moi, de me retrouver avec moi-même et d’avoir le temps de faire des choses pour moi. Avoir ma chambre, mon espace, non pas dans mon foyer mais dans un lieu neutre me permet d’être bien et en phase avec moi-même et de m’adonner à mes envies.

L’organisation du travail, équilibre télétravail / travail en présentiel

L’organisation du travail idéale est très contrastée. Cela dépend des métiers, des secteurs, des types d’entreprise, des équipes. Plusieurs modèles fonctionnent et sont viables. Pour autant, l’hybride aujourd’hui n’est pas au point. Les 2 jours sur site, 3 jours en remote ou inversement sachant qu’ils ne sont pas organisés – en assurant des temps collectifs, des temps de concentration – donnent l’impression que tout est mélangé tout le temps et favorisent la surcharge permanente. Finalement, aujourd’hui, nous allions le pire des deux mondes.

Au bureau, les personnes sont sans cesse en conf call avec un casque sur les oreilles avec peu de moments de convivialité. Par ailleurs, les collègues ne sont pas toujours là, faute d’organisation des services. A la maison, les personnes sont également tout le temps derrière leur écran mais avec, en plus, toute la charge domestique. Par conséquent, tout le monde finit épuisé avec ce modèle hybride.

Dans ce contexte, le retour au bureau est compliqué… Rajouter 1h30 de trajet pour vivre la même expérience qu’à la maison n’a rien d’attirant.

Le seul vrai gain de cette organisation hybride, à mon sens, est l’optimisation des solutions de logement. Chez les plus aisés, ils bénéficient d’une maison de campagne dont ils peuvent profiter. Pour d’autres, ce modèle permet de déménager dans d’autres villes (Bordeaux, Nantes, Strasbourg, …), la normalisation du télétravail l’ayant permis.

Aujourd’hui, un autre modèle a vu le jour : le nomadisme. Cependant pour moi, ce modèle ne peut être durable. Il permet une phase d’exploration du monde du travail, notamment chez les plus jeunes. Quand cette population construit un foyer, elle revient naturellement à un modèle dit traditionnel.

Mais alors comment faire fonctionner l’hybride ?

Avec le confinement, le relationnel s’est perdu dans les pixels des écrans. Nos compétences sociales se sont atrophiées, et nous sommes tous devenus beaucoup plus introvertis puisque pendant toute une période nous avons dû vivre avec le casque sur les oreilles, de nombreux mails et beaucoup d’écrits. Par conséquent, il est devenu moins facile pour beaucoup d’aller naturellement parler aux gens.

Aujourd’hui, la magie de la machine à café n’opère plus forcément spontanément. En faisant le parallèle avec les rencontres amoureuses, avant, deux personnes pouvaient assez naturellement se rencontrer en soirée chez des amis. Aujourd’hui les sites de rencontre se multiplient car les modes de rencontre ont changé et ils semblent plus simples derrière un écran. Au bureau, c’est un peu pareil et il nous faudrait peut-être plus de sites de rencontres professionnelles ! Blague à part, pour que la magie se recrée, il faudrait, à mon sens, encourager :

  1. Des liens par affinités avec des clubs d’intérêt, des associations internes,
  2. Des liens verticaux avec des systèmes de marrainage / parrainage (très pro),
  3. Des liens horizontaux (entre pairs) avec des systèmes de promo, d’onboarding, …

Il n’y a évidemment pas qu’une méthode mais ces systèmes permettent de tisser une toile entre tous et favorisent le bien-être du retour au travail si important pour recréer de l’engagement.

L’avis de Laetitia sur Biliv

L’idée de Biliv me semble bien dans l’air du temps. En premier lieu, comme utilisatrice potentielle, dans la mesure où je me déplace souvent avec mes affaires. Je considère que cela serait un avantage non négligeable de pouvoir voyager libre comme l’air en retrouvant à chaque fois mes petites affaires et mon confort. J’avais d’ailleurs écrit moi-même une fiction sur le nomadisme pendulaire précisément sur ce thème.

Je trouve l’idée pertinente d’avoir une résidence secondaire on demand, avec de la souplesse, du service et du care. Les entreprises ont d’ailleurs, à mon sens, beaucoup à offrir au travers d’un environnement de travail élargi (à savoir lieu de travail mais également logement, bien-être, …) et notamment sur le futur du travail hybride. Aujourd’hui, elles abordent des sujets essentiellement quantitatifs sur le nombre de jours à réaliser en présentiel mais le reste de l’organisation reste à la charge du salarié. Penser à l’organisation du travail dans son ensemble (trajet, logement, bien-être) et comment le travail peut s’intégrer dans cette organisation serait un des facteur clé du succès de l’organisation de l’hybride et du retour au bureau.

Par ailleurs, la question du logement en elle-même est aujourd’hui un sujet. Les coûts des logements ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus, ce qui représente un goulot d’étranglement pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. Les études montrent que plus la date d’entrée sur le marché du logement est récente, plus la taille du logement est petite. Pour certains, il devient impossible de se loger à l’endroit où se trouve l’opportunité professionnelle. Pour d’autres, les conditions de logement ne sont pas optimales. Par conséquent un modèle de logement hybride avec une résidence plus éloignée du centre où se trouve l’essentiel des activités professionnelles avec une partie des tâches en télétravail et une partie sur site est un modèle solide.

C’est d’ailleurs ce que l’on a pu observer aux Etats Unis ces dernières années avec une répartition plus homogène de la population.

Donc l’idée de Biliv se trouve au croisement du logement, du service, de la transformation du travail, de la démographie et répond à des problématiques d’actualité

Un grand merci Laëtitia pour ta disponibilité et ton authenticité. En tout cas chez Biliv on ne peut qu’approuver tout ce qui vient d’être énoncé !!

 

* En finir avec la productivité – Critique féministe d’une notion phare du monde du travail – Laëtitia Vitaud

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