Essai sur la grande démission

Partir un jour

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L’herbe paraît toujours plus verte ailleurs. Nous avons tous entendu cette mise en garde qui, d’un conseil, se transforme souvent en raison de garder la tête dans le guidon.

Le point c’est que dans le monde du travail, avec le confinement, cette herbe, souvent fantasmée, nous avons fini par y goûter et à l’image d’un bol de curly elle a une petite odeur de reviens-y.

Cette prise de conscience de certains s’est traduite par ce que nous avons appelé la « grande démission ». Ce phénomène a été particulièrement visible aux US. Depuis la fin du Covid, plus de 3 millions de travailleurs manquent toujours à l’appel (le taux de participation à l’emploi – c’est-à-dire le pourcentage de personnes ayant ou cherchant un emploi – est encore sous les 62,5%, soit 1% sous ses niveaux d’avant crise). De plus, sur le seul mois de mars 4,5 millions de personnes ont démissionné outre-Atlantique. Autrement dit, si on tirait le trait, 1 salarié sur 3 aura démissionné dans l’année. Ce phénomène est certes exacerbé aux Etats-Unis, une partie reste conjoncturelle, mais des tendances de fonds sont bien à l’œuvre, trop importantes pour que nous puissions les ignorer, notamment de notre côté de l’Atlantique.

Ne plus perdre sa vie à essayer de la gagner

Les confinements contraints ont apporté leurs lots de difficultés mais ont aussi servi de respiration à beaucoup dans les pays les plus développés (notamment grâce au soutien fort des Etats).

Ces périodes ont été pour certains d’entre nous l’occasion de revenir sur ce qu’ils voulaient ou ne voulaient plus, sur le sens qu’ils voulaient donner à leur travail et surtout la place qu’ils voulaient y consacrer.

Du jour au lendemain celui-ci est venu s’adapter à notre mode de vie et non l’inverse. Ce faisant, des secteurs entiers ont subi un déficit de main d’œuvre lors de la réouverture de l’économie. Les hôteliers français souffrent, par exemple, d’un déficit de veilleurs de nuit qui ont été confrontés à la difficulté de leur métier et à l’instabilité de leur secteur. Comprenons bien qu’un poste comme veilleur de nuit pour les bureaux d’une grande entreprise offre finalement plus de confort et plus de visibilité pour des compétences équivalentes. Il en va de même, actuellement, avec l’ensemble des postes présentant des contraintes fortes (travail de nuit, travail le week end et jours fériés, métiers difficiles…)

Aux US, où de nombreuses personnes âgées travaillent pour compléter leur maigre retraite, nombreuses sont celles qui se sont rendu compte qu’elles pouvaient vivre avec moins de revenus certes, mais en privilégiant le temps de qualité pour elles-mêmes.

La perte de la place centrale du travail…

Ce phénomène se trouve amplifié par la situation économique actuelle. En effet, si nous avons traversé des heures sombres, l’impact économique a finalement été relativement limité et nous avons vécu dans le même temps une hausse quasiment ininterrompue de ce que nous appelons les revenus du capital avec la hausse des marchés financiers, de l’immobilier, des valorisations des start-up, des cryto assets (bitcoin, NFT)…

C’est particulièrement le cas dans des pays avec un salariat très financiarisé comme les US, où, par exemple, certains retraités qui travaillaient en plus de leur retraite se sont rendus compte que leur portefeuille boursier avait suffisamment progressé pour s’en passer, où encore ce jeune féru d’informatique qui en se lançant sur les NFT reçoit aujourd’hui plus de ses cryptos-assets que de son travail.

…et du salariat en particulier

L’inflation actuelle ne devrait d’ailleurs pas simplifier la donne. Aujourd’hui, les prix progressent en moyenne de 7%. Pour certains, mieux vaut détenir des parts d’actifs au rendement équivalent à 10% par an (somme toute relatif dans la mesure où ces 10% restent incertains) que de travailler pour un salaire progressant de 3% par an (à la différence que le premier rémunère un patrimoine financier et le second votre patrimoine temps).

A ce titre, j’ai par exemple été particulièrement dubitative en début d’année sur les chiffres de l’inflation US de 7/8% en apprenant que, parmi ces X% seulement 3% provenait des hausses des salaires mais surtout que 3% étaient issues des hausses de marge des entreprises…ceci veut dire qu’un salarié voit progresser le prix de ses achats de 7% alors que ses revenus du travail ne progressent que de 3%, forcément vu comme ça, le simple salariat ne peut représenter une valeur d’avenir…

En finir avec l’argent comme seul mètre étalon

A cette remise en question s’ajoute celle de la position donnée à l’argent. Ainsi si réussir dans la vie a souvent été présenté comme étant le moyen de réussir sa vie, on constate aujourd’hui un éloignement de plus en plus important des deux valeurs. Combien de yuppies en costumes trois pièces en sont venus durant le confinement à envier l’espace de vie du « simple » ouvrier de province ? Ceci a ouvert la voie à pas mal de remise en question et à un paquet d’articles aux titres plus au moins racoleurs comme « il vend sa start-up et se lance dans la slow-life ; traders, ils ont décidé d’ouvrir leur boucherie etc… ». Si les salariés se sont souvent sentis comme les engrenages indispensables d’un grand tout (leur entreprise), ils n’en sont finalement souvent que l’huile, un simple consommable nécessaire à la fluidification de l’ensemble, qui finit par être remplacé.

Aujourd’hui notre richesse ne doit plus se mesurer plus en termes de cash-flow, mais aussi de time-flow, d’happy-flow, de free flow, de meaning-flow, de family flow, de knowledge-flow, d’ecolo-flow…Le monde du travail et nos entreprises devront s’y adapter au risque de continuer à voir un jour partir leurs salariés sans retour.

La bonne nouvelle dans tout ça ? Sur la base de ces nouveaux principes, nous avons tous la possibilité de devenir riches tant ces ressources sont infinies et se multiplient lorsqu’elles sont partagées…

Et vous, quel nouveau mètre étalon voulez-vous donner à votre vie ?

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