Entretien avec Romain Bendavid (IFOP)

Le travail c'est la santé

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Henri Salvador

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1965

Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver… Lorsque nous évoquons le monde du travail nous avons tendance à projeter notre ressenti face à lui et forcément quand travail vient du latin tripalium, un instrument de torture, le résultat n’est pas toujours totalement objectif. 

Dans les priorités des français, la place du travail est celle qui a perdu le plus sur les vingt dernières années… Un véritable challenge que ce soit pour les individus ou encore les entreprises.

Pour s’y retrouver dans ce contexte nébuleux il faut se tourner vers les chiffres et c’est là qu’intervient Romain Bendavid!

Romain Bendavid : des chiffres... Et des chiffres

Si vous voulez vérifier vos théories au travers de chiffres terrain, Romain Bendavid est la personne qu’il vous faut et le moins que l’on puisse dire c’est que cela ne vient pas de nulle part. Après avoir usé les bancs de Science Po puis de l’ESCP, Romain met depuis plus de 20 ans son savoir-faire au service de l’IFOP (entreprise de sondages d’opinion et d’études marketing). Son domaine de prédilection ? Le monde du corporate et du work experience, c’est-à-dire tout l’écosystème de l’entreprise et ses parties prenantes (dirigeants, employés, cadres, …). Ses sujets d’études varient entre le rapport au travail, le moral des actifs, la place du bureau, la santé au travail, le management etc.

Pourquoi le monde de l’entreprise ? Parce que c’est en son sein que les choses évoluent le plus aujourd’hui, ce qui en fait un sujet d’étude particulièrement intéressant pour qui aime à analyser l’opinion publique.

L’entreprise (au sens large) est l’un des rare lieu d’interaction sociale dans une société de plus en plus individualisée, un lieu qui conserve une certaine mixité et où le champ des possibles et les challenges restent variés (favoriser la diversité et l’inclusion, passer au circuit court, favoriser la politique de santé au travail, …). 

Crise sanitaire et rapport au travail

La COVID 19 a été pour notre rapport au travail un catalyseur important aboutissant à de profondes mutations. Interrogés en novembre 2020, 58% des salariés affirmaient que la crise sanitaire avait changé leur rapport au travail.

Cette révolution s’est tout d’abord manifestée au travers des salariés, qui prenant conscience que rien ne serait plus jamais comme avant, ont modifié leurs aspirations.

En réaction et dans un environnement plus favorable aux salariés, les entreprises ont dû s’aligner sur ces aspirations, prenant en compte les préoccupations de leurs équipes, qu’elles soient du domaine de l’équilibre vie pro / vie perso ou encore le sens, la valeur que chacun apporte au travail.

Toutefois la seule réaction n’est pas suffisante et il leur faut aujourd’hui redevenir maître de leur stratégie RH. Nombreuses sont les entreprises qui, n’ayant pas remis en question leur modèle, ont des difficultés de recrutement et de fidélisation au sein de leurs équipes.

Les néo-télétravailleurs - du rêve à la réalité

Si avant la crise sanitaire le télétravail ne concernait en France que 20% des salariés, ils sont aujourd’hui 30% (+50%) à en bénéficier (dont 75% de cadres, soit 8 à 9 millions de personnes). Mais qui sont-ils ?

  • Un peu moins d’un tiers sont en full télétravail et bien souvent étaient déjà en télétravail avant la crise sanitaire,
  • Un peu plus d’un tiers bénéficie d’un travail hybride à savoir de 2 à 3 jours par semaine
  • Enfin le reste profite d’un télétravail occasionnel, c’est-à-dire 1 jour ou moins.

La population en travail hybride est celle qui nécessite le plus d’un besoin d’accompagnement car elle rassemble généralement les néo-télétravailleurs post COVID, peu habitués à cette organisation (en termes d’équipement notamment) et à ce mode de management.

Sur le papier, le télétravail offre une plus grande flexibilité et une liberté accrue permettant notamment d’organiser de façon plus simple sa vie personnelle et ainsi d’avoir le sentiment d’équilibrer sa vie professionnelle (passer à la banque sur des horaires de bureau, effectuer moins de temps dans les transports pour pouvoir aller chercher ses enfants à l’école etc.).

Pour autant, le télétravail est un écosystème en lui-même, une culture. La France sur cet aspect a du retard par rapport à ses voisins (Allemagne ou encore Royaume-Uni notamment).

La culture managériale y affiche plutôt de la défiance vis-à-vis du télétravail. Par conséquent, les actifs en bénéficiant réagissent souvent en affichant une implication accrue afin de prouver qu’ils sont dignes de confiance. Ces derniers peinent à fixer un cadre de télétravail (que ce soit en termes d’horaires ou même de priorité).

Mal préparé et mal encadré, le télétravail peut aussi être source d’isolement sans offrir les gardes fous du présentiel. Enfin, si le télétravail libère du temps de transport et présente des avantages en termes d’équilibre vie pro / vie perso, il peut néanmoins être un piège – pour la femme notamment – conduisant à d’avantages d’inégalités.

Dans son livre « les chemins de l’égalité – les femmes, les hommes et le travail » co-écrit avec Flora Baumlin, Romain Bendavid nous apprend que hommes et femmes télétravaillent tout autant (35% versus 33% des actifs, avec une large majorité de cadres). Si les femmes sont plus convaincues par ce mode de travail, notamment pour leur équilibre pro / perso, « il existe un risque que le télétravail soit dévoyé et devienne un moyen permettant aux femmes de simplifier leur double journée sans remettre en cause la répartition des tâches au sein du foyer ». L’autre risque serait d’accroître les inégalités hommes / femmes en augmentant la part du travail « gratuit » (tâches domestiques, gestion du quotidien, …) à distance (souvent réalisé par la femme) pendant que les hommes, présents au bureau, créeraient davantage de lien en présentiel et mettraient plus en évidence l’ensemble des travaux accomplis avec un avantage certain sur leur plan de carrière…

Les télétravailleurs semblent d’ailleurs conscients de ces limites car, si ce mode de travail occupe aujourd’hui le devant des médias et est souvent présenté comme devant devenir la règle, la réalité est finalement un peu plus nuancée par les chiffres. Les sondages montrent que le nombre de jours idéal de télétravail est de 2,2 jours alors qu’aujourd’hui le nombre moyen de jours télétravaillés est à 2,1 jours. Les courbes se rapprochent donc sur un modèle hybride autour de 2 jours, satisfaisant les organisations comme les personnes y travaillant.

Trois enseignements majeurs apporté par le télétravail

Avec comme toile de fond le développement du télétravail, de ses travaux, Romain Bendavid ressort trois enseignements majeurs qui pourraient modeler le futur du travail et qui doivent donc être aujourd’hui abordés par nos entreprises :

  • Premièrement la valeur travail n’est plus LA valeur centrale. Entre 1990 et 2022 la place du travail est restée importante (92% en 1990 contre 86% aujourd’hui). En revanche la répartition entre très important et assez important s’est modifiée. En effet, en 1990, 60% des français déclaraient accorder une place « très importante » au travail contre 32% « assez importante ». Aujourd’hui, seuls 24% affirment que le travail est « très important dans leur vie » versus 62% « assez important ». Le travail reste donc important mais n’est plus aussi structurant. Le travail fait partie d’un tout et doit s’y intégrer. Les personnes recherchant du travail sont à l’écoute de ce qu’elles veulent trouver en termes de sens, de bien-être ponctuel dans un emploi, de leur force intérieure. Les actifs sont aujourd’hui plus libres de changer d’emploi ou encore de refuser d’effectuer certaines tâches. A noter que ce phénomène est surtout prégnant pour une partie de la population (les salariés, les jeunes).

 

  • Plus anecdotique de prime abord mais pourtant potentiellement tout aussi structurant, le bruit et la présence d’autres personnes sont aujourd’hui moins bien tolérés par les personnes ayant été confinées. Ce nouveau phénomène pousse les réflexions sur l’organisation / la place du bureau et comment faire pour faire en sorte qu’il soit le plus confortable et accueillant possible. Ce phénomène pourrait ainsi progressivement sonner le glas des open-spaces sans limite au risque de voir s’enliser des salariés casque-audio sur les oreilles.
  • Enfin, avec la normalisation du télétravail, on a pu assister à un exode massif au sein de la population des cadres, et particulièrement de grande métropole à grande métropole (étude IFOP / CadreEmploi sur les villes où les cadres veulent vivre versus les villes où ils veulent travailler), créant ainsi une dissonance entre lieu de vie et lieu de travail et du challenge que cela peut représenter pour les entreprises en termes d’attractivité, d’engagement et de rétention des talents…
 

 

Autant vous dire que là on s’est mis à discuter de BILIV mais cette longue histoire est encore à écrire… Je remercie en tout cas Romain pour cet échange (qui fut bien-sûr trop bref à mon goût) et pour tout l’enseignement que j’ai pu recevoir au cours de cette rencontre !

Et vous, quel est votre rapport au travail?

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